Partir des bords du Léman vers la Gruyère et le Pays-d’Enhaut, c’est remonter le chemin suivi jadis par les meules de gruyère amenées via le col de Jaman à Vevey où elles étaient acheminées par bateau vers Genève et Lyon, suivant les époques et les accords militaires. A Lyon, la Marine française a longtemps été un acheteur important: sur les bateaux qui traversaient la Méditerranée et l’Atlantique, les gruyères constituaient un apport de protéines se conservant longtemps. Du Léman vers le Pays-d’Enhaut et la Gruyère, ce trajet sera ainsi un «retour aux sources» aussi bien géographique qu’historique et thématique.
Au début du 19e siècle, un fameux guide de voyage présentait le gruyère ainsi: Les fromages de Gruyères, connus partout, passent pour être les meilleurs qu’on ait en Suisse. On les transporte en Allemagne, en Italie, en France, en Hollande, en Amérique et jusqu’aux Indes orientales. On conserve dans certaines maisons d’énormes fromages de famille, et cela quelques fois pendant un siècle.
Un fromage, deux AOP
L’histoire du gruyère commence au 15e siècle. Si l’on fabriquait des fromages avant, c’était selon d’autres recettes, souvent plus simples. Celle du gruyère demande en effet des spécialistes, parce que c’est un fromage à pâte dure et que sa fabrication inclut de la présure.
Bien que toute la région ait vécu de la même économie alpestre, il y a aujourd’hui entre Pays-d’Enhaut et Gruyère ainsi qu’en leur sein de nombreuses différences.
Celle de l’est et de l’ouest, d’abord, deux régions proches mais distinctes (le Pays-d’Enhaut vaudois et la Gruyère fribourgeoise). Celle du bas et du haut, ensuite, qui oppose le fond des vallées et les alpages, les maisons de bois et les chalets, la sédentarité et la transhumance. Celle encore du regroupement et de la dispersion, qui réunit le lait dans des laiteries et les meules dans des caves communes, alors que l’on fabrique toujours dans les alpages des fromages de manière artisanale. Celle du marketing enfin, qui a créé deux AOP: L’Etivaz et le Gruyère (qui se subdivise en Gruyère de fromagerie villageoise et Gruyère d’alpage). Une plongée au cœur de ces fromages révèle les liens qui les unissent et les séparent: les procédés de fabrication sont semblables, alors que les couleurs et les goûts peuvent être différents. Ceux-ci dépendent en effet des herbages que broutent les vaches: goûter ces fromages est une manière d’évoquer ces régions.
Quelques dates
- Milieu du 15e siècle: premières mentions d’une nouvelle sorte de fromage: le gruyère
- 12e siècle –1555: les Comtes de Gruyère sont les maîtres du Gessenay (Saanenland), du Pays-d’Enhaut et de la Gruyère. D’où l’importance des grues dans les armoiries des communes de la région.
- Dès 1555: la Gruyère est divisée en plusieurs baillages dépendant de Leurs Excellences de Fribourg.
- 1555–1798: Le Pays-d’Enhaut et le Gessenay sont des baillages dépendant de Leurs Excellences
- de Berne.
- 17e–18e siècles: âge d’or de l’économie du gruyère.
- 1793: fermeture du marché de Lyon.
- 1803: le Pays-d’Enhaut est vaudois.
- 19e–20e siècles: temps difficiles pour l’économie du gruyère.
- Milieu du 19e siècle: les deux régions s’ouvrent au tourisme.
- 1904: le Montreux-Oberland bernois arrive à Château-d’Œx et les Transports Publics Fribourgeois (alors Chemins de fer électriques de la Gruyère) relient Châtel-Saint-Denis à Montbovon.
- 2000: l'AOC est accordée à L’Etivaz.
- 2001: l'AOC est accordée au Gruyère.
- 2011 : les deux AOC reçoivent le nouveau label d’appellation d’origine protégée AOP