1975, le Pays-d’Enhaut ou La survie des arrière-pays

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Le CinEden diffusera le 19 avril prochain une édition de Temps présent datant de 1975 intitulée La survie des arrière-pays. Cette émission enquête sur le dépérissement du Pays-d’Enhaut. L’occasion, pour François Margot, de revenir sur le contexte de l’époque et création du L’Association pour le développement du Pays-d’Enhaut (ADPE).

Alors que la Confédération célèbre en 2024 le 50ème anniversaire de sa politique régionale, le cinéma de Château-d’Œx propose la projection d’un Temps présent de 1975 intitulé La survie des arrière-pays qui illustre parfaitement le contexte de l’époque. Entièrement tourné au Pays-d’Enhaut, l’émission enquête sur le dépérissement de la vallée en donnant la parole à ses habitants. On cherche des remèdes : fabrication du fromage, préservation de l’artisanat, développement du tourisme. C’est l’année de la création de l’ADPE, (aujourd’hui Pays-d’Enhaut Région Économie et Tourisme, PERET).

La politique régionale de la Confédération est instaurée formellement en 1974 avec la création de la LIM, loi sur l’aide aux investissements en région de montagne, dans un contexte d’exode rural et d’accroissement des disparités entre centres et périphéries. Dans le but de créer des conditions favorables au développement économique, cette politique innove en mettant la régionalisation comme condition préalable à la possibilité d’octroi de crédits pour certaines infrastructures. Pour obtenir ces aides les communes doivent en effet se regrouper en régions de développement et présenter un programme de développement régional démontrant le besoin de soutien et les orientations choisies pour réduire leur écart de développement. Cette politique engendrera la création de 54 régions de montagne, couvrant les deux tiers du territoire suisse, dans les Alpes et l’Arc jurassien.

À l’instar de l’ARG, Association régionale de la Gruyère, l’ADPE est créée en 1975. Les trois communes damounaises comptent alors à peine plus de 4200 habitants, soit 1400 de moins qu’en 1930. Un travail de pionnier avait déjà été conduit depuis plusieurs années par les autorités et différentes commissions, sous la conduite de Jean Chevallaz, résident secondaire ayant des origines et de fortes attaches dans la région. La démarche endogène initiée par les acteurs locaux s’emboîte parfaitement avec la volonté de la Confédération : dépassement des limites communales pour traiter des problèmes de mal-développement à une échelle régionale pertinente (de taille exceptionnellement petite dans le cas du Pays-d’Enhaut), intégration des acteurs économiques et culturels aux côtés des autorités communales, information, transparence, approche intersectorielle et participative. La reconnaissance du premier programme de développement régional du Pays-d’Enhaut (1978-1982) par les instances cantonales et fédérales permettra la création d’un poste à mi-temps de conseiller régional dont la mission est d’animer, de faire vivre, ce processus de mobilisation d’une population au service de l’étude et de la promotion du développement harmonieux du Pays-d’Enhaut (selon les buts statutaires de l’ADPE). C’est Erwin Stucki, jeune agronome installé avec sa famille aux Moulins en 1977, qui occupera ce poste jusqu’en 1987, dans le cadre d’une collaboration avec l’Institut d’économie rurale de l’École polytechnique fédérales de Zurich, à qui je lui succèderai jusqu’en 2017.

Le Temps présent réalisé en 1975 par Claude Champion et le journaliste Jacques Pilet témoigne de ce travail de diagnostic inédit réalisé au Pays-d’Enhaut sur les causes du dépeuplement qui fragilise la vie socio-économique de la vallée après la folle période de croissance du début du 20e siècle. On y rencontre, au rythme de l’époque, de nombreux protagonistes : agriculteurs, hôteliers, artisans, directeurs d’office du tourisme et du collège, élèves et membres des autorités… Un jeune ayant quitté la vallée complète ces témoignages avec un regard d’une troublante actualité sur le (mal)développement… Laboratoire de développement régional ancré dans une réalité territoriale très concrète, le Pays-d’Enhaut est aussi révélateur de dynamiques qui le dépassent, permettant une généralisation du titre du Temps présent qui lui est consacré en 1975 : La survie des arrière-pays.

S’il est toujours amusant de (re)découvrir une facette du passé, à la fois si proche et si lointain, d’une région qui nous est proche, la projection du 19 avril au cinéma de Château-d’Œx sera aussi l’occasion de réfléchir au chemin parcouru avec Erwin Stucki, premier conseiller régional de l'ADPE, Jean-Pierre Neff et Myriam Dégallier-Mermod, respectivement président et directrice actuels de PERET, Maximilien Stauber, municipal à Château-d'Œx, et le public.

François Margot